Le 15 février dernier, Epitech et E-mma ont co-organisé une table ronde qui se tenait dans les locaux de Google, à Paris. Une rencontre dédiée au développement de la féminisation des métiers du numérique et aux solutions envisagées pour y parvenir.
Comment ouvrir le monde de la tech et du numérique à un public plus féminin, tant dans l’enseignement supérieur qu’au sein des entreprises ? La question était au centre des échanges le mercredi 15 février dans les locaux parisiens de Google, lors d’une table ronde dédiée à la féminisation des métiers du numérique organisée sous l’impulsion d’Epitech et d’E-mma, l’association œuvrant pour un numérique plus inclusif portée depuis 2015 par notre Alumni Dipty Chander.
Pour animer les débats, quatre intervenants de choix ont accepté de participer à l’événement : Marie-Pierre Rixain, députée (Renaissance) de la 4e circonscription de l’Essonne, et autrice et rapporteure de la loi Rixain du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle entre hommes et femmes, Pauline Butor, directrice YouTube Ads et co-lead de Women@Google, large groupe de ressources pour les employés de Google axés sur la diversité et l’inclusion au sein de l’entreprise, Dipty Chander, Alumni Epitech et présidente de l’association E-mma, également Technical Account Manager chez Google Cloud, et Britta Yaro, étudiante en 4e année au sein d’Epitech Technology sur le campus de Paris et Référente E-mma Paris.
Aujourd’hui et demain, quelle place pour les femmes dans le numérique ?
En 2021, Epitech et Ipsos se sont associés pour faire un état des lieux de la place des femmes dans le monde du numérique. Sans surprise, il est ressorti que les jeunes femmes peinent encore à s’imposer dans ce milieu historiquement très masculin, et pourtant stratégique pour nos économies et nos sociétés.
Dans la continuité de ce constat s’est rapidement imposée une évidence : pour faire bouger les lignes et faciliter l’accès à plus de jeunes filles vers ces filières, l’effort doit être global, structurel et collectif. Le politique a donc bien sûr son rôle à jouer, au même titre que les entreprises, le système éducatif ou encore la sphère privée, dont le rôle est souvent central dans le choix d’une formation professionnelle.
C’est en ce sens qu’Epitech, en collaboration avec E-mma et avec le soutien de la fondation Femmes@numérique, a mené à la suite de cette étude une large consultation auprès de ses étudiants, entreprises partenaires et de son écosystème global, pour dessiner un plan d’action concret autour de cette problématique.
La diversité pour éviter la pénurie ?
Parce que réfléchir à la place des femmes et des minorités dans le numérique pour aujourd’hui, mais aussi les années à venir, ce n’est pas seulement se pencher sur une problématique de société, comme l’ont rappelé les intervenantes. Le secteur pourrait en effet connaître une sérieuse pénurie de main d’œuvre dans les prochaines années.
« Notre programme Google Computer Science part du constat qu’il y a un manque de talents fou dans ces métiers du numérique. Si on regarde juste l’année 2022, une entreprise sur deux n’arrivait pas à embaucher des gens sur le secteur de l’IT, et si on se projette un peu, certaines études prévoient qu’en Europe, d’ici 2030, nous manquerons de plus de 14 millions de talents sur ces métiers-là. »
Pauline Butor, directrice YouTube Ads et co-lead de Women@Google
« Il y a un vrai besoin, en France et en Europe, et donc une vraie opportunité pour tous les jeunes, et notamment pour les femmes, parce qu’on a un problème de mixité. On veut que la société de demain soit aussi construite et pensée par des femmes, et on est persuadé qu’il faut s’y prendre très tôt, au moment de l’éducation, au moment de l’orientation. Via ce programme Google Computer Science, l’idée c’est de travailler vraiment avec des associations dont c’est le métier et le savoir-faire, et avec l’Education Nationale pour s’attaquer à 3 sujets : comment on forme les enseignants qui ne connaissent pas forcément ces métiers, comment on développe du matériel éducatif, et comment on touche des femmes avec des initiatives comme ‘Girls Can Code’ par exemple, avec lequel on pourrait toucher 1.000 jeunes filles l’année prochaine pour apprendre à coder. »
Pauline Butor, directrice YouTube Ads et co-lead de Women@Google
Un constat partagé et prolongé par Marie-Pierre Rixain, la députée de la 4e circonscription de l’Essonne :
« Les écoles ont du mal à attirer des jeunes filles dans leurs établissements, et in fine les entreprises ont du mal à recruter des jeunes femmes. C’est très bien de vouloir les attirer, c’est même formidable, mais une fois qu’elles y sont, c’est aussi bien de faire en sorte qu’elles y restent. Pour qu’elles y restent, il faut que les conditions soient réunies pour qu’elles soient bien. Et la première chose, c’est leur sécurité. »
Marie-Pierre Rixain, députée de la 4e circonscription de l’Essonne
« L’autre point, c’est pourquoi on a besoin de femmes aujourd’hui dans le numérique ? la réalité, c’est qu’on sait que les besoins de demain sont en train d’être construits. Il y a un certain nombre de secteurs en tension qui sont extrêmement bien rémunérés et on a besoin que les femmes intègrent ces secteurs, ce qui permettra aussi de leur faire accéder à des postes mieux rémunérés. Au-delà de ça, il faut permettre aux femmes d’être à l’origine de ces innovations technologiques, et de pouvoir les porter et pas ‘seulement’ être des développeuses, ce qui est déjà formidable, mais je pense qu’il faut que les femmes soient aussi à l’origine de la création de l’avenir et du monde de demain. »
Marie-Pierre Rixain, députée de la 4e circonscription de l’Essonne
L’importance du rôle modèle dans la création d’une vocation
Pour ce faire, nos quatre intervenantes ont unanimement appuyé sur l’importance centrale des rôles modèles dans la naissance d’une vocation chez les plus jeunes publics, et insisté sur la mise en avant de profils de femmes qui donnent envie, qui inspirent, et qui donnent confiance en soi. Mais pas seulement.
« Ce qu’on voit en ayant des femmes ingénieures qui vont dans les écoles, c’est que la première réaction des jeunes c’est ‘Ah, mais vous êtes une femme ingénieure ?’. Ces profils ne sont pas que des geeks qui passent leur journée en survêtement à jouer à des jeux vidéo, ce qui est une image en effet peu désirable pour des jeunes lycéennes. »
Pauline Butor, directrice YouTube Ads et co-lead de Women@Google
« Chez E-mma, nous avons un programme qui s’appelle ‘Inspire by E-mma’, qui a justement vocation à mettre en visibilité des rôles modèles que vous pouvez croiser tous les jours. Les grands profils connus de la tech, personnellement ils ne m’inspirent pas particulièrement parce que je ne les ai pas connus. J’avais besoin d’avoir quelqu’un avec qui je peux parler, que je peux croiser, qui est accessible. C’est l’objectif d’Inspire : permettre aux collaborateurs qui sont au sein d’une entreprise de pouvoir partager leur métier, leur expérience, leur ressenti. »
Dipty Chander, Présidente E-mma et Technical Account Manager chez Google Cloud
« Si je prends mon exemple, moi mon rôle modèle aujourd’hui, c’est un homme, pas une femme. L’objectif c’est de se dire ‘cette personne m’inspire, j’ai envie de devenir comme cette personne’ et de mettre en place le nécessaire pour y arriver. Découvrir son rôle modèle et être en capacité d’échanger avec cette personne et de s’inspirer de sa réussite, c’est l’un des objectifs d’Inspire. »
Dipty Chander, Présidente E-mma et Technical Account Manager chez Google Cloud
Un constat partagé par Britta Yaro, qui a pris pour exemple son histoire personnelle :
« Moi, j’ai découvert les métiers de la tech et du numérique grâce à une série, qui s’appelle Mr Robot. Le personnage principal est un ingénieur en cybersécurité, et on est tellement en immersion sur son métier que tout de suite j’ai voulu m’en inspirer et lui ressembler. Et c’est vrai que si ce personnage-là avait été une femme, ça aurait été encore plus simple pour s’identifier. »
Britta Yaro, étudiante Epitech Technology et Référente E-mma Paris
« Par contre, j’ai aussi rapidement été confrontée aux inégalités. Dès le lycée, j’étais en filière sciences l’ingénieur et il y avait très peu de filles : sur 35 élèves, on devait être 5 filles. J’ai tout de suite été dans un environnement très masculin. J’ai réussi à m’adapter même si c’était un peu compliqué au début. Notamment quand tu veux poser des questions et que tu es la seule fille, j’avais peur de lever la main et de rentrer dans le cliché de la seule fille de la promo qui ne comprend rien. Pendant quasiment toute ma première année, je n’ai pas osé poser de question et ce qui m’a sauvée c’était le confinement. Pendant le confinement, je savais que je pouvais poser mes question et que personne n’allait me juger. Ensuite, j’ai pris un peu plus confiance en moi. »
Britta Yaro, étudiante Epitech Technology et Référente E-mma Paris
Eduquer et accompagner les femmes dans la tech
Et au-delà des rôles modèles, les quatre intervenantes de la soirée ont également évoqué l’encadrement des profils féminins dans la tech, tant d’un point de vue éducatif que dans les entreprises, après l’embauche.
« Moi, je suis assez convaincue qu’il faut agir avant le début de l’adolescence, parce que c’est là que se cristallisent les stéréotypes, et le désir de l’adolescent de vouloir ressembler à la majorité de sa classe d’âge, de son genre. Il faut arriver à casser les codes avant. »
Marie-Pierre Rixain, députée de la 4e circonscription de l’Essonne
« On a aussi le volet compétences qu’on traite chez E-mma avec le programme ‘Code At Home’. Ce programme a pour objectif d’aider dès le plus jeune âge des enfants ou adolescents se trouvant en France ou à l’étranger de donner les compétence techniques. En somme, passer par l’éducation pour donner les compétences techniques dès le très jeune âge. Et ensuite pouvoir se dire, que je sois une femme ou que je sois un homme : je connais déjà ce métier, je ne le découvre pas en arrivant en terminale, et je peux m’y orienter naturellement. »
Dipty Chander, Présidente E-mma et Technical Account Manager chez Google Cloud
« Le rôle des associations comme Women@Google, c’est d’accueillir ces femmes dans les entreprises, de leur créer un réseau en interne, d’avoir des gens avec qui elles puissent échanger, et aussi très important, qu’elles se reconnaissent et qu’elles se projettent. Il y a aussi le coaching et le mentoring : comment on coache les personnes les plus juniors, comment on les aide dans l’entreprise, et ensuite comment on accompagne les femmes les plus seniors avec des mentors qui les guident, qui leur permettent d’évoluer dans l’entreprise, de progresser. »
Pauline Butor, directrice YouTube Ads et co-lead de Women@Google
« Dans 10 ou 15 ans j’aimerais bien voir la tech être utilisée encore plus pour résoudre les problématiques critiques de nos sociétés. Je fais référence au climat, à la pauvreté, aux inégalités, à la santé… Il y a tant de domaines dans lesquels la tech pourrait être indispensable. Ensuite, il y a les entreprises, qui sont de plus en plus nombreuses à se rendre compte de l’importance de la diversité et de l’inclusion. Par contre, il faut désormais aller plus loin, et donner les mêmes opportunités à l’employeur. Il faut que chaque employeur puisse se poser la question des inégalités au sein de sa structure. Qu’est-ce que je mets en place pour résoudre les inégalités salariales, par exemple. La prise de conscience c’est important, c’est une première étape, mais maintenant quel est le plan ? Quelles sont les actions ? Comment les mettre en place ? »
Dipty Chander, présidente E-mma et Technical account manager chez Google Cloud
« Il reste du chemin, la prise de conscience a commencé, ça avance, pas autant qu’on le voudrait mais ça avance. C’est une responsabilité collective. Je travaille depuis environ 10 ans sur le sujet de la diversité, je vois une vraie évolution. Les entreprises parlent de diversité, parlent d’inclusion, et cherchent à recruter des profils qui sont intéressés par le sujet. Ces collaborateurs auront de l’impact au sein des entreprises et changeront les mentalités. »
Dipty Chander, présidente E-mma et Technical account manager chez Google Cloud