Initié en mars 2021, le laboratoire de recherche d’Epitech regroupe près d’une dizaine de chercheurs et chercheuses en sciences humaines au cœur de l’école de l’expertise informatique. Sa vocation : contribuer à l’apport des technologies dans les différents domaines de recherche et favoriser l’impact social des étudiants. Rencontre avec Nicolas Bourgeois, directeur de recherche du lab Epitech.
Qu’est-ce que le lab d’Epitech ?
Le laboratoire de recherche d’Epitech s’appelle exactement MNSHS : laboratoire « Méthodes Numériques pour les Sciences de l’Humain et de la Société ». C’est un lab entre l’informatique et tout ce qui permet de comprendre l’environnement social et humain qui nous entoure : histoire, sciences politiques, géographie, sociologie, game studies, sciences de l’éducation, en complément de l’informatique et des mathématiques. Il se compose de 5 chercheurs et chercheuses, un ingénieur, une doctorante et moi à la direction du laboratoire.
Un laboratoire de recherche appliquée
Nous essayons d’aborder la compréhension de la société. Pourquoi avec le numérique ? Nous pensons qu’avec Epitech, nous disposons d’un grand vivier d’étudiants et de pédagogues qu’on peut mobiliser. Toutes nos recherches ne sont pas forcément liées avec le numérique, mais nous avons certains tropismes dans les méthodes : nous travaillons avec de grandes quantités de données, donc la technologie nous aide grandement.
Le projet a débuté en mars 2021. Avant, je faisais pour ma part du traitement de données à Epitech. Il y avait cette idée d’avoir de la reconnaissance institutionnelle. Nous voulions montrer que nos pédagogues et enseignants sont compétents pour aborder des sujets pointus. Nous avons écarté l’idée d’un lab de recherche fondamentale en informatique : il faut que nos chercheurs fassent de la recherche appliquée, le caractère scientifique viendrait du sujet en lui-même.
Nous nous sommes orientés vers les sciences humaines et sociales, où il y a depuis quelques années une prise de conscience de la nécessité de l’informatique, mais pas forcément une maîtrise endogène des outils. Nous avions donc un rôle à jouer pour aider.
Nous travaillons avec de grandes quantités de données, donc la technologie nous aide grandement.
Apprendre à décrypter les informations
L’impact social de l’école est très important également : nous ne pouvons pas créer des citoyens libres et conscients en les concevant comme des récipiendaires de savoir. La démarche avec le labo est la même. Être bon techniquement doit permettre de servir la société dans laquelle on vit, d’être conscient des problèmes, d’avoir envie de les résoudre.
Notre position de départ est qu’il faut avoir une certaine humilité, et que la compétence technique ne suffit pas. Il faut lui accoler une ouverture. « Qui utilise la techno ? », « Pour quoi faire ? »… Nous voulons que les gens que l’on forme se posent les bonnes questions avant même de trouver des solutions. Il est important que les étudiants, futurs actifs, soient capables d’avoir une vision réflexive de ce qu’ils sont en train de faire : est-ce éthique, en accord avec mes propres valeurs ? Les sciences sociales sont les outils au service de cette quête de sens, ceux qui permettent de décrypter l’information. C’est un bon levier pour être en accord avec la société et avec soi-même.
Quel est l’objectif du lab Epitech ?
Tout d’abord, nous avons des objectifs chiffrés : on doit publier, diffuser la connaissance que l’on crée. Nous établissons des éléments de vérité dont peuvent s’emparer des acteurs académiques ou en entreprise.
Les étapes du travail de chercheur
Pour commencer, nous collectons l’information : soit elle est déjà écrite (rapports, archives…) et donc facile à trouver ; il faut alors la traiter, car elle est massive. Parfois elle n’existe pas, sous forme écrite notamment. Nous faisons alors de l’enquête de terrain : nous allons observer, noter de façon exhaustive, varier les observations et les observateurs. Ça peut aller jusqu’à 400h d’observation par exemple. On fait également des entretiens.
La lecture critique des sources est essentielle et nous souhaitons travailler cela avec les étudiants.
Après cette phase d’acquisition, nous compilons les données. Selon les cas, on peut avoir des étapes de modélisation pour tirer des lois de ce qui est en train de se passer. Cela fonctionne très bien sur des sujets économiques ou linguistiques. On fait un point bibliographique également. La lecture critique des sources est essentielle et nous souhaitons travailler cela avec les étudiants.
Ensuite nous rédigeons. On a conçu des protocoles d’étude à partir d’un sujet sur lequel il n’y avait pas de consensus, on a obtenu des résultats, maintenant il convient de les diffuser, de convaincre. Nous rédigeons entre 5 et 40 pages, et nous l’envoyons à une revue, qui évalue le sérieux et la validité pour publication, par l’intermédiaire d’un comité éditorial de chercheurs pairs qui l’examinent. Une fois qu’il est accepté, il faut le mettre en forme et le diffuser selon le moment le plus pertinent dans le calendrier de la revue. L’attente de publication peut-être de 3-4 mois à 2-3 ans, selon le calendrier éditorial. On est dans une réflexion sur des temps longs.
Comment fonctionnez-vous au quotidien ?
Une des originalités de notre labo est d’être une équipe interdisciplinaire, et pas une « collection » de chercheurs : nous partageons des méthodologies, essayons d’avoir des approches transverses. Une discipline ne se définit pas par un objet, mais par une méthode. Par exemple, l’histoire est l’étude critique des sources, pas forcément l’étude du passé uniquement. On peut faire de l’histoire autour de faits contemporains.
Chez nous, un chercheur travaille sur 2 à 5 sujets à la fois. On a des sujets qui nous intéressent naturellement, mais nous sommes ouverts aux sollicitations de l’actualité. La communauté des chercheurs fait aussi des appels à publication. La recherche en sciences humaines et sociales est très ouverte : il n’y a pas de brevets, et les recherches des uns se renouvellent en s’appuyant sur celles des autres.
Quels sont les projets à venir du laboratoire ?
Nous travaillons actuellement sur un gros projet : proposer aux étudiants d’Epitech des modules d’initiation à la démarche scientifique. Ils ont alors acquis le bagage initial, et ils s’interrogent sur ce qu’ils vont en faire. Nous pensons que c’est le bon moment pour les amener à lire de la littérature scientifique, faire des expériences, étudier les discours…
Nous aimerions proposer également aux étudiants de collaborer aux travaux de recherche. Nos sujets ont souvent une dimension technique, de l’analyse de données, du développement de logiciel… On apporte notre connaissance, ils apportent leur technique, on collabore et tout le monde est crédité. Cela peut être des projets cours sur quelques semaines, ou plus longs au fil de leur parcours.
Les étudiants d’Epitech vont être des acteurs importants des changements à venir de notre société.
Contribuer aux changements de la société
Nous organisons un séminaire tous les 15 jours, où les étudiants sont les bienvenus quel que soit leur campus, le format étant le plus souvent en hybride. Régulièrement, nous participons également à des événements plus larges, comme des conférences pour présenter nos travaux, mais aussi des activités associatives. D’une façon générale, nous essayons d’intervenir, à la mesure de nos moyens, partout où nous pouvons contribuer à diffuser les approches scientifiques dans la communauté tech, et les outils techniques dans la communauté scientifique.
Les étudiants d’Epitech vont être des acteurs importants des changements à venir de notre société. Il nous apparait fondamental qu’ils bénéficient de l’apport de la recherche, des outils et de la connaissance méthodologique issus de la recherche fondamentale, et pour certains qu’ils puissent même y contribuer.
#Agenda
Le 28 mars, de 14h à 16h30, A. Rios-Bordes présentera son ouvrage Les savoirs de l’ombre au séminaire du Laboratoire MNSHS, Epitech.
Le séminaire se dérouler en présentiel (Salle Ada Lovelace, Epitech 4e étage 18 rue Pasteur au Kremlin-Bicêtre) et en distanciel.
Les savoirs de l’ombre retrace l’institutionnalisation de la surveillance sécuritaire aux Etats-Unis au cours de la première partie du vingtième siècle, à partir d’une ethnographie historique déchiffrant les logiques intellectuelles et pratiques à l’œuvre dans l’effort d’accumulation de savoir sur les populations qu’engagent les forces armées à partir de la Première Guerre mondiale.